Kranti Simha Nana Patil : Le lion qui a ouvert la voie à la révolution

Kranti Simha Nana Patil : Le lion qui a ouvert la voie à la révolution

On connait Gandhi le combattant pour l'indépendance adepte de la non-violence, mais on connait moins Nana Patil qui organisa les campagnes contre le colonisateur britannique !
Pour les 75 ans de l'indépendance de l'Inde, c'est le moment de le découvrir !
Source : Kranti Simha Nana Patil: The Lion who Heralded Revolution - Communist Party of India (Marxist) - Dr Maya Pandit - 06/08/2022

Le 9 août 1942, le peuple indien prévint les dirigeants britanniques qu’ils devaient quitter le pays en lançant le fameux mouvement Quit India. Mais la population du district de Satara, dans le Maharashtra, prit ce slogan de Gandhi au pied de la lettre et, dès le lendemain, elle renversa le joug britannique sur son territoire. Pourtant le mouvement Quit India local avait commencé, comme Gandhi l’avait suggéré, de manière non violente. Mais les dirigeants britanniques tirèrent sur les Indiens en cinq endroits différents du district de Satara, tuant 11 patriotes. Avec le soutien des forces de police répressives, des seigneurs féodaux et de leurs armées locales de criminels et de voyous, les Britanniques réussirent à écraser la rébellion pendant un bref moment. Cependant, la répression ne pouvait durer car la révolte de cette population représentait l’énorme besoin du peuple indien de se libérer des structures de pouvoir cruelles et politiquement répressives de la société.

C’est un combattant de la liberté, un révolté, appelé Nana Patil qui avait rallumé ce feu dans le cœur des habitants de Satara et mena la révolte avec une vigueur renouvelée. Né le 3 août 1900, Nana Patil développa de nombreuses formes de luttes révolutionnaires sur le sol indien tout au long de sa vie. Il est décédé le 6 décembre 1976. Voici son histoire peu connue qui mérite d’être rappelée alors que nous célébrons 75 ans de liberté.

Des efforts organisés pour renverser la domination britannique

La révolte de Satara était bien plus radicale que les autres agitations qui avaient lieu en Inde à cette époque. D’un côté, certains individus faisaient des Satyagrahas individuels [manifestations non-violentes]. De l’autre, de nombreux efforts s’organisaient pour renverser la domination britannique. Diverses formes de lutte virent le jour. Des agitations eurent lieu dans des endroits comme Bhagalpur, Ballia, Midnapore, Komila, Champaran, entre autres. En 1930, les ouvriers du textile du district de Solapur avaient libéré la ville des Britanniques pendant quelques jours. La création de la commune de Solapur avaient été une vaste expérience menée par les travailleurs sous la direction de Mallappa Dhanshetty, Shrikrishna Sarada, Kurban Hussein et Jagannath Shinde, qui furent ensuite pendus par les Britanniques. L’expérience de la Commune de Solapur avait été une réponse à la révolution bolchévique de 1917, et elle avait également rappelé au monde entier la Commune de Paris de 1871.

Les vents du changement observés dans cette agitation se limitèrent toutefois à une seule ville. Plus tard, ils se transformèrent en un énorme ouragan dans le district voisin de Satara. Nana Patil, en fut le détonnateur, il réussit à enflammer le désir dormant de libération du peuple en une force énorme. Il créa, avec la participation du peuple, une énorme commune rurale qui dura pas moins de trois ans, d’août 1943 à mai 1946. Le mouvement de Nana Patil se distingua de toutes les autres révoltes par le fait qu’il parvint à libérer des centaines de villages du joug de la domination coloniale malgré le siège des forces britanniques. Ce ne fut rien de moins qu’un miracle. Ce mouvement, dont Nana Patil était le fer de lance, est connu sous le nom de mouvement Prati Sarkar, c’est-à-dire le mouvement du gouvernement alternatif.

Pour comprendre la spécificité de ce mouvement, il faut comprendre l’histoire et la géographie de cette région. Elle a connu le règne d’un roi juste et franc, Shivaji Maharaj ; on y trouve également des villages comme Katgun et Naygaon, lieux de naissance respectifs du Mahatma Phule et de Savitribai Phule ; Gopal Ganesh Agarkar, le grand réformateur du XIXe siècle, est né à Tembhu dans cette région. Elle était à l’époque emprunte des traditions de la lutte de libération de Shivaji contre les dirigeants moghols d’une part, et d’autre part de la lutte anti-caste du mouvement Satyashodhak. Une nouvelle conscience s’était répandu dans la société contre l’impérialisme britannique, les structures féodales et le système oppressif des castes. La région avait été le témoin de la transformation sociale créée par Karmaveer Bhaurao Patil et ses efforts considérables pour éduquer les masses, y compris les castes inférieures, grâce à son réseau d’écoles. Le Dr Babasaheb Ambedkar avait également séjourné à Satara pour son éducation. Karmaveer Vitthal Ramji Shinde avait organisé les masses pour l’éradication du système des castes dans la même région. alors que le camarade V.V. Chitale organisait les masses rurales sous le drapeau rouge du Parti Communiste. Tous ces mouvements avaient créé un terrain très fertile pour les mouvements de libération et Nana Patil représenta l’amalgame de toutes ces forces de libération qui étaient prêtes à inaugurer une ère de révolution.

Le mouvement Prati Sarkar s’attaqua aux structures de pouvoir établies qui réprimaient le peuple depuis longtemps. Il serait difficile de trouver un exemple comparable à cette révolution qui provoqua un énorme bouleversement dans la société rurale et remit en question les structures de pouvoir dominantes et leurs pratiques répressives. L’objectif de son mouvement était de créer une nouvelle société sous la direction des travailleurs, dans laquelle il n’y aurait pas d’exploitation sur la base de la classe, de la caste, du sexe ou de la religion.

Bhagat Singh et ses camarades

On peut même comparer les énormes changements apportés par ce mouvement révolutionnaire à ceux apportés par les Lumières en Europe. Nana Patil a été inspiré par l’essai de Bhagat Singh sur la structure de la libération nationale et par les luttes contre les forces fascistes d’Hitler en Europe. Il comprit que pour gagner la lutte contre l’Empire britannique, il devait identifier les centres où le pouvoir était concentré et les abattre. Il cibla donc les postes de police, les seigneurs féodaux de la région et leurs armées d’escrocs et de criminels comme les trois centres de pouvoir par lesquels les Britanniques opéraient. Se basant sur son expérience de champion de lutte, il savait que si ces centres de pouvoir étaient attaqués et détruits, la domination britannique s’effondrerait. C’est ainsi qu’il a réussi à chasser la puissance coloniale de centaines de villages.

Tout d’abord, il organisa de jeunes hommes en une armée disciplinée appelée Toofan Sena qui attaquait les postes de police, emprisonnait les policiers et s’emparait de leurs armes. Une autre technique dans cette lutte était de piller les coffres du gouvernement. À l’époque, les fonds considérables collectés par le biais des impôts et les fonds destinés à payer les salaires des fonctionnaires étaient envoyés par train. Les révolutionnaires attaquèrent ces trains, prirent l’argent dans les caisses du Trésor et l’utilisèrent pour financer la guerilla. Ces attaques se répandirent du district de Dhulia à de petits villages comme Kundal dans le district de Satara. Les révolutionnaires brûlèrent également des gares. Ces activités provoquèrent une onde de choc chez les dirigeants britanniques dont la confiance s’étiola.

Plusieurs seigneurs féodaux de la région travaillaient comme agents des Britanniques et, en collaboration avec eux, opprimaient les agriculteurs pauvres. C’est toute cette frange de paysans laborieux qui devint l’armée révolutionnaire de libération de Nana Patil. Précisons qu’avant leurs attaques, les fonctionnaires du gouvernement et les Watandars [propriétaires terriens] comme Deshmukh [titre de noblesse] et d’autres étaient déjà diminués. Le mouvement Satyashodhak avait affaibli le Bhat – Bhikshukshahi (la règle des prêtres et des prédicateurs brahmanes). L’armée de libération de Nana Patil s’attaqua à la domination des prêteurs sur gages qui avaient pris les pauvres agriculteurs au piège monstrueux des prêts. Le mouvement Prati Sarkar attaqua les maisons des usuriers et détruisit les dossiers et documents des prêts accordés aux agriculteurs. Ils déclarèrent alors les agriculteurs quittes de leur prêts. En 1936, le Kisan Sabha [association paysanne] avait été créé et avait lancé un appel pour l’annulation des prêts et la distribution équitable des terres aux sans-terre. Le Prati Sarkar reprit ces demandes et les mit immédiatement en pratique. Les agriculteurs gagnèrent alors en confiance. Le Prati Sarkar distribua également aux pauvres les fonds gouvernementaux pillés dans les trains.

Dr Ambedkar rédacteur de la Constitution Indienne

En dehors de cela, les militants du mouvement Prati Sarkar réalisèrent un autre travail important lié à la réforme sociale. Ils abordèrent des questions telles que l’éradication du système des castes, les mariages inter-castes, les remariages de veuves, l’interdiction de l’alcool, la libération des prisonniers et organisèrent activement des programmes où ils mirent leurs idées en pratique. Ils développèrent également diverses formes culturelles pour la diffusion de leurs idées. Ils formèrent des groupes de jeunes artistes, chanteurs et acteurs qui présentèrent divers Jalsas (programmes musicaux avec des chansons et de la musique), et créèrent parmi le peuple une nouvelle conscience à travers leurs programmes culturels. Il s’agissait d’une tentative consciente de créer un front culturel alternatif qui remettait en question les formes traditionnelles dominées par le brahmanisme. Le Prati Sarkar était donc une révolution complète qui embrassait les aspects politiques, sociaux et culturels de la vie des gens. Il s’adressait à eux dans leur propre langue. Les militants firent d’énormes efforts pour diffuser les idées du Dr Ambedkar, de Marx et de Lénine, dans la langue populaire des poètes saints – et le peuple aima cela. En conséquence, le drapeau tricolore de la liberté indienne flotta sur chaque Chawdi, le bureau de l’administration britannique au niveau du village, pendant des mois.

Le Prati Sarkar n’était pas seulement le rêve d’un poète, ni une aberration. Il représenta le pouvoir du peuple au sens propre du terme. Le mouvement avait une base solide de pensée scientifique. De nombreuses organisations furent créées pour ce nouvel État. Il y avait une armée de soldats engagés, adeptes de la guérilla. Ensuite, il y avait un département du trésor créé pour l’élévation du peuple. Il y avait un comité d’organisation qui supervisait le travail effectué parmi les gens. Il y avait un système pour rendre la justice par le biais de juges qui traitaient les affaires de manière juste. Il y avait aussi le comité Bahirji Naik, un comité pour diffuser les nouvelles parmi les gens, un comité pour la communication, des écoles pour le peuple et pour la formation des cadres. Mais l’organisation la plus célèbre et la plus populaire d’entre elles était le Toofan Sena [l’armée du peuple].

Le mouvement se constituait de groupes de personnes composés d’activistes, parfois peu nombreux, parfois jusqu’à 150. Ces groupes avaient des sections avec leurs propres chefs, puis il y avait des chefs de haut niveau et au sommet se trouvaient les dirigeants qu’ils appelaient « Dictateurs ».

Telle était la structure de leur gouvernement et de leur administration. Et cela fonctionnait parfaitement bien. Avec tous ces systèmes à l’œuvre et différents niveaux d’organisation, le mouvement Prati Sarkar représenta un modèle de gouvernance pour le peuple. C’était un exercice de création d’un système qui cherchait à éradiquer l’exploitation. Il se poursuivit jusqu’en 1946. Nana Patil le dirigeait depuis ses cachettes souterraines. Il sortit de terre en 1946 quand l’indépendance devint une certitude. Plus de 1400 villages furent directement administrés par le Prati Sarkar.

Nana Patil poursuivit cette tradition même après l’indépendance de l’Inde. Il aida les agriculteurs en lutte dans le Telangana en leur envoyant des armes, un exemple éclatant de son profond engagement envers la révolution communiste. Il aida également les mouvements pour la libération de Goa ainsi que d’Hyderabad. Il était un leader convaincu du mouvement Samyukta Maharashtra. Il devint membre du CPI et président du All Indian Kisan Sabha. Il était si populaire qu’il fut élu député de Satara en 1957 et de Beed en 1967, un district de la lointaine région de Marathwada. Le mouvement Prati Sarkar donna naissance à des piliers et à de grands leaders comme Kranti Agrani G. D. Bapu Lad, Krantiveer Nagnath Anna Naikwadi, Barde Master, Sheikh Kaka, Babuji Patankar qui fut martyrisé, D. G. Deshpande, Shantaram Garud, entre autres. La lutte contre l’exploitation continue dans ce pays encore aujourd’hui. La tradition idéologique et pratique du Prati Sarkar se poursuit à travers elle. Leur engagement envers les agriculteurs est significatif en ces temps difficiles. C’est cet héritage de la tradition de Nana Patil qui ressurgit dans ce contexte d’un État indien terriblement régressif et de plus en plus fasciste.

Le Prati Sarkar de Nana Patil et de ses camarades représentait un beau rêve socialiste que le Maharashtra a vu à l’époque de la lutte contre l’impérialisme et l’exploitation. Notre mouvement suivra les traces de ces grands leaders. Salut rouge à Nana Patil et ses camarades.