Indonésie, 1965, un massacre de communistes qui servira de modèle

Indonésie, 1965, un massacre de communistes qui servira de modèle

W.T. Whitney Jr. nous présente un livre qui vient de sortir et qu'il serait sans doute bon de traduire et d'éditer en français : The Jakarta Method, sur l'implication des États-Unis dans les divers massacres de communistes et assimilés de par le monde depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Petit hommage à tous les morts de cette guerre anticommuniste qui couve toujours.
Source : New book: Indonesia was model for anti-communist massacres, U.S. complicity - People's world - 7 janvier 2021

Au milieu du XXe siècle, l’impérialisme étatsunien a le vent en poupe, alors que les problèmes de la guerre froide sont en train d’émerger avec notamment le conflit entre les étatsuniens et les soviétiques, les craintes de guerre nucléaire, les guerres de Corée et du Vietnam, l’anticommunisme aux États-Unis et l’Indonésie.

Manifestation du PKI

Après avoir mis fin au régime colonial néerlandais, ce pays dirigé par le président Sukarno est à l’avant-garde des nations qui s’efforcent de se tenir à l’écart à la fois du camp étatsunien et du camp socialiste. Le Parti Communiste d’Indonésie (PKI), avec trois millions de membres, est devenu le troisième plus grand parti communiste au monde. Il participe aux élections, est représenté au sein du corps législatif et entretient des liens avec les syndicats et les organisations sociales et culturelles.

Le 30 septembre 1965, dans un complot d’origine obscure, six généraux de l’armée indonésienne sont assassinés. On accuse le PKI, et bientôt des soldats, des paramilitaires et des voyous tuent ou font disparaître des membres du parti et des assimilés. Le président Sukarno est mis sur la touche. Le général Suharto assume des pouvoirs dictatoriaux, qu’il conservera jusqu’en 1998. Le nombre de morts approche du million ; un million d’autres personnes se retrouvent dans des camps de concentration. La torture est omniprésente.

Dans son livre The Jakarta Method, le journaliste Vincent Bevins rapporte que le gouvernement étatsunien a fourni des équipements et des fonds à l’armée indonésienne et a infiltré des agents de la CIA. Ces derniers ont fourni aux tueurs des listes de communistes réels ou imaginaires. Les responsables étatsuniens ont conditionné leur soutien militaire à la protection des installations pétrolières étatsuniennes et à l’élimination du PKI.

Le PKI a été anéanti et le communisme interdit. Bevins affirme que le gouvernement étatsunien craignait plus le PKI que les communistes vietnamiens. Plus tard, l’éradication du PKI compenserait la douleur d’une éventuelle défaite étatsunienne au Vietnam.

Dans son rapport sur les événements en Indonésie, le conseiller étatsunien à la sécurité nationale McGeorge Bundy, cité dans le livre, parle d’une « justification frappante de la politique étatsunienne envers cette nation ». Le chroniqueur du New York Times, James Reston, a célébré les événements comme « Une lueur de lumière en Asie ».

The Jakarta Method étudie « les programmes d’extermination anticommunistes soutenus par les États-Unis [qui] ont perpétré des meurtres de masse dans au moins 22 pays ». Bevins fait état de meurtres en Irak, en Iran, au Soudan, et surtout en Amérique Latine, en commençant par le Guatemala en 1954. Là-bas, le régime imposé par un coup d’État de la CIA a assassiné au moins 2 000 communistes présumés.

La propension du Brésil à un anticommunisme enragé a préparé le terrain pour un coup d’État militaire en 1964. Le gouvernement étatsunien était déjà sur place. La dictature militaire remplaçant le président João Goulart a duré jusqu’en 1985. Le Brésil « allait bientôt jouer un rôle crucial en faisant basculer d’autres pays dans le camp occidental », selon Bevins.

Le coup d’État brésilien a fourni le plan d’action du désastre à venir en Indonésie. Et les catastrophes dans ces deux pays ont été des exemples pour les massacres qui allaient suivre. L’implication des États-Unis a été un paramètre important dans tous ces événements, bien que les diverses attaques aient été inspirées et financées par des sources locales. Les insurrections de gauche qui ont eu lieu dans quelques pays ont servi de prétexte.

Avec l’aide des États-Unis, les dictatures militaires qui ont pris le pouvoir en Argentine (1976) et au Chili (1973) ont lancé l’Opération Condor, une machine à tuer régionale. Quelque 75 000 personnes ont été assassinées au Salvador. Au Guatemala, les militaires, aidés par la CIA, ont tué 200 000 personnes, pour la plupart des indigènes, entre 1978 et 1983. Le livre offre des détails sur l’implication des États-Unis au Chili, au Nicaragua et au Brésil, mais pas dans d’autres pays d’Amérique Latine.

Dans de nombreux endroits, chuchoter « Jakarta » ou griffonner le mot dans des espaces publics a servi d’avertissement, rapporte Bevins. Donnant le ton, le Général Roberto D’Aubuisson du Salvador a déclaré : « Vous pouvez être communiste… même si vous ne croyez pas personnellement que vous êtes communiste ».

Les relations étroites entre les officiers militaires étatsuniens et leurs homologues en Indonésie et en Amérique Latine ont favorisé les interventions militaires étatsuniennes. La U.S. Army’s School of the Americas a encouragé ces liens interpersonnels, selon le groupe de protestation School of the Americas Watch. La formation dispensée à de nombreux officiers indonésiens sur la base militaire de Leavenworth, au Kentucky, a sans aucun doute renforcé leur confiance dans le personnel militaire étatsunien au service de leur propre pays.

Bevins note que l’Indonésie « est probablement sortie des radars à cause des événements de 1965-1966″. En effet, « les pays lointains qui sont proétatsuniens, stables et fiables ne font pas la une des journaux ». La Colombie, un autre pays connu pour son désastre humanitaire, une guerre civile brutale et l’intervention étatsunienne, reçoit également peu d’attention de la part des médias étatsuniens. Bevins a fait de longs séjours au Brésil et en Indonésie. Développant des liens personnels avec les survivants des différents bains de sang, il les a traqués à travers le monde. Ce qu’il a appris contribue à l’authenticité et à l’immédiateté de son récit. Son propos se base sur beaucoup de faits et s’appuie sur un style et des commentaires clairs tout au long de son récit.

Les militants communistes sont assassinés à la baïonnette.

Il explique que « la création d’un monstrueux réseau international d’extermination… a joué un rôle fondamental dans la construction du monde dans lequel nous vivons tous aujourd’hui…. L’anticommunisme violent existe toujours au Brésil, en Indonésie et dans de nombreux autres pays. La guerre froide a créé un monde de régimes qui considèrent toute réforme sociale comme une menace ».

Il jette un nouvel éclairage sur la nature de la guerre froide. Pour Bevins, « ce qui s’est passé au Brésil en 1964 et en Indonésie en 1965 est peut-être la plus importante victoire de la guerre froide pour le camp qui a finalement gagné ». Il souligne que son « histoire de la guerre froide n’est pas principalement axée sur les blancs aux États-Unis et en Europe » ou en Union soviétique.

The Jakarta Method étudie une série de conflits armés distincts inspirés par l’anticommunisme. Ils se sont déroulés dans différents pays. Des agents armés des couches supérieures de chacune de ces sociétés s’en sont pris à des concitoyens qui recherchaient, ou pensaient rechercher, la justice et l’émancipation. Le livre traite essentiellement des conflits de classe dans ces pays.

Le but de l’auteur n’était pas de représenter la Guerre Froide, à base de mots et de postures, qu’il y a eu entre certaines nations gouvernées par des partis communistes et d’autres, puissantes et anticommunistes. Celle-là a pris fin avec la chute du bloc soviétique en 1991. L’autre guerre, qui n’est pas vraiment une guerre froide, est maintenant en sommeil, mais elle se poursuit.

L’auteur de l’article :

W.T. Whitney Jr. est un journaliste politique qui se concentre sur l’Amérique Latine, les soins de santé et l’antiracisme. Militant de la solidarité avec Cuba, il a travaillé auparavant comme pédiatre et vit dans la campagne du Maine aux USA.

Pour aller plus loin :

Les très bons documentaires de Joshua Oppenheimer :

L’article d’Initiative-Communiste : 30/09/65 : Un massacre occulté – Indonésie