De l’autre côté du mur de Berlin

De l’autre côté du mur de Berlin

Source : The Other Side of the Berlin Wall - consortiumnews.com - William Blum - 9 novembre 2022

À l’occasion du 33e anniversaire de la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, nous revenons sur les raisons de la construction du mur dans cet essai du regretté William Blum, publié le 28 juillet 2011 sur Consortium News.

Allemands de l’Est célébrant avec du champagne l’ouverture du Mur, le 13 novembre 1989. (Joe Lauria)

Le mur de Berlin est devenu le symbole iconique de la Guerre Froide, censé prouver la supériorité du capitalisme sur le communisme. Cependant, il existe un autre versant, peu compris, de l’Histoire quant aux raisons de l’érection de ce mur il y a plus d’un demi-siècle, explique l’historien William Blum.

Article de William Blum du 28 juillet 2011 :

Les médias occidentaux vont bientôt faire tourner à plein régime leurs appareils de propagande pour célébrer le 50e anniversaire de l’érection du mur de Berlin, le 13 août 1961.

Tous les clichés de la Guerre Froide opposant le Monde Libre à la Tyrannie Communiste seront ressassés et l’histoire simple de la création du mur sera répétée : En 1961, les communistes de Berlin-Est ont construit un mur pour empêcher leurs citoyens opprimés de fuir vers Berlin-Ouest et la liberté.

Pourquoi ? Parce que les communistes n’aiment pas que les gens soient libres, qu’ils apprennent la « vérité ». Quelle autre raison aurait-il pu y avoir ?

Tout d’abord, avant la construction du mur, des milliers d’Allemands de l’Est se rendaient chaque jour à l’Ouest pour y travailler et retournaient à l’Est le soir ; beaucoup d’autres faisaient l’aller-retour pour faire des achats ou pour d’autres raisons. Il est donc évident qu’ils n’étaient pas retenus à l’Est contre leur gré.

Pourquoi donc le mur a-t-il été construit ? Il y a deux raisons principales :

Des ouvriers est-allemands construisant le mur de Berlin, le 20 novembre 1961. (Archives nationales/Wikipedia)

Premièrement, l’Ouest harcelait l’Est avec une campagne vigoureuse de recrutement de professionnels et de travailleurs qualifiés est-allemands, qui avaient été formés aux frais du gouvernement communiste. Cela a fini par provoquer une grave crise de la main-d’œuvre et de la production à l’Est.

À titre d’exemple, le New York Times a rapporté en 1963 : « Berlin-Ouest a souffert économiquement du mur par la perte d’environ 60 000 ouvriers qualifiés qui faisaient quotidiennement la navette entre leur domicile à Berlin-Est et leur lieu de travail à Berlin-Ouest. » [New York Times, 27 juin 1963].

En 1999, USA Today rapporte : « Lorsque le mur de Berlin s’est effondré [1989], les Allemands de l’Est ont imaginé une vie de liberté où les biens de consommation seraient abondants et les difficultés s’estomperaient. Dix ans plus tard, un remarquable 51 % d’entre eux disent avoir été plus heureux sous le communisme. » [USA Today, 11 octobre 1999]

Des sondages antérieurs auraient probablement montré que plus de 51 % des personnes interrogées exprimaient un tel sentiment, car au cours de la décennie écoulée, bon nombre de ceux qui se souvenaient de la vie en Allemagne de l’Est avec une certaine tendresse étaient décédés ; même dix ans plus tard, en 2009, le Washington Post pouvait annoncer :

Des groupes de combat est-allemands de la classe ouvrière ferment la frontière le 13 août 1961 en vue de la construction du mur de Berlin. (Bundesarchiv/Wikipedia)

« Les Occidentaux disent qu’ils en ont assez de la nostalgie de leurs homologues de l’Est pour l’époque communiste. » [Washington Post, 12 mai 2009]

C’est dans la période post-unification qu’un nouveau proverbe russe et est-européen est né : « Tout ce que les communistes ont dit sur le communisme était un mensonge, mais tout ce qu’ils ont dit sur le capitalisme s’est avéré être la vérité. »

Il convient également de noter que la division de l’Allemagne en deux États en 1949, ouvrant la voie à 40 ans d’hostilité de la Guerre Froide, a été une décision étatsunienne, et non soviétique : Carolyn Eisenberg, Drawing the Line : The American Decision to Divide Germany, 1944-1949 (1996) ; ou voir une critique concise de ce livre par Kai Bird dans The Nation, 16 décembre 1996].

Deuxièmement, au cours des années 1950, les partisans étatsuniens de la guerre froide en Allemagne de l’Ouest ont lancé une campagne grossière de sabotage et de subversion contre l’Allemagne de l’Est afin de déstabiliser la machine économique et administrative du pays.

La C.I.A. et d’autres services de renseignement et militaires américains ont recruté, équipé, formé et financé des individus et des groupes de militants allemands, à l’Ouest comme à l’Est, pour mener des actions allant de la délinquance juvénile au terrorisme ; tout ce qui pouvait rendre la vie difficile au peuple est-allemand et affaiblir son soutien au gouvernement ; tout ce qui pouvait donner une mauvaise image des communistes.

C’était une entreprise remarquable.

Zone de mort du mur de Berlin, 1977, montrant un hérisson tchèque et une tour de garde. (George Garrigues/Wikipedia)

« Les États-Unis et leurs agents ont utilisé des explosifs, des incendies criminels, des courts-circuits et d’autres méthodes pour endommager des centrales électriques, des chantiers navals, des canaux, des docks, des bâtiments publics, des stations-service, des transports publics, des ponts, etc. Ils ont fait dérailler des trains de marchandises, blessant gravement des travailleurs ; ils ont brûlé 12 wagons d’un train de fret et détruit les tuyaux d’air comprimé d’autres wagons ; ils ont utilisé des acides pour endommager des équipements industriels vitaux ; ils ont mis du sable dans la turbine d’une usine, la paralysant ; ils ont mis le feu à une usine de fabrication de tuiles ; ils ont encouragé les débrayages dans les usines ; ont tué 7 000 vaches d’une laiterie coopérative par empoisonnement ; ont ajouté du savon au lait en poudre destiné aux écoles est-allemandes ; étaient en possession, lorsqu’ils ont été arrêtés, d’une grande quantité de cantharidine, un poison avec lequel il était prévu de produire des cigarettes empoisonnées pour tuer des dirigeants est-allemands ; ont lancé des boules puantes pour perturber des réunions politiques ; ont tenté de perturber le Festival Mondial de la Jeunesse à Berlin-Est en envoyant de fausses invitations, de fausses promesses de logement et de nourriture gratuits, de faux avis d’annulation, etc. des attaques contre des participants à l’aide d’explosifs, de bombes incendiaires et de matériel de perforation de pneus ; la falsification et la distribution de grandes quantités de cartes de rationnement alimentaire pour semer la confusion, la pénurie et le ressentiment ; l’envoi de faux avis d’imposition et d’autres directives et documents gouvernementaux pour favoriser la désorganisation et l’inefficacité au sein de l’industrie et des syndicats… tout cela et bien plus encore. » [Voir William Blum, Killing Hope : US Military and CIA Interventions Since World War II, p.400, note 8, pour une liste de sources concernant les détails du sabotage et de la subversion. ]

Le Woodrow Wilson International Center for Scholars, de Washington, DC, un groupe de conservateurs adeptes de la Guerre Froide, dans un de leurs documents de travail du Cold War International History Project (#58, p.9) déclare : « La frontière ouverte de Berlin exposait la RDA [Allemagne de l’Est] à l’espionnage et à la subversion massive et, comme le montrent les deux documents en annexe, sa fermeture a donné à l’État Communiste une plus grande sécurité. »

Extérieur du bâtiment du journal Neue Zeit de Berlin-Est (depuis l’arrière), avec le mur de Berlin au premier plan, 1984. (George Garrigues/Wikipedia)

Tout au long des années 1950, les Allemands de l’Est et l’Union Soviétique ont déposé à plusieurs reprises des plaintes auprès de leurs anciens alliés occidentaux et des Nations Unies au sujet d’activités spécifiques de sabotage et d’espionnage et ont demandé la fermeture des agences d’Allemagne de l’Ouest qu’ils considéraient comme responsables, et dont ils fournissaient les noms et les adresses.

Leurs plaintes sont restées lettre morte.

Inévitablement, les Allemands de l’Est ont commencé à resserrer les conditions d’entrée dans le pays en provenance de l’Ouest, ce qui a conduit à la construction de ce mur infâme. Cependant, même après la construction du mur, l’émigration légale d’est en ouest a été régulière, bien que limitée.

En 1984, par exemple, l’Allemagne de l’Est a autorisé 40 000 personnes à quitter le pays. En 1985, les journaux est-allemands ont affirmé que plus de 20 000 anciens citoyens qui s’étaient installés à l’Ouest voulaient rentrer chez eux après avoir été déçus par le système capitaliste. Le gouvernement ouest-allemand a déclaré que 14 300 Allemands de l’Est étaient rentrés au cours des dix années précédentes. [The Guardian (Londres), 7 mars 1985].

N’oublions pas non plus que l’Europe de l’Est est devenue communiste parce que Hitler, avec l’approbation de l’Occident, l’a utilisée comme une autoroute pour atteindre l’Union Soviétique afin d’anéantir définitivement le bolchevisme, et que les Soviétiques, pendant les deux guerres mondiales, ont perdu environ 40 millions de personnes parce que l’Occident avait utilisé cette autoroute pour envahir l’URSS.

Il n’est pas surprenant qu’après la Seconde Guerre mondiale, l’Union Soviétique ait été déterminée à fermer cette autoroute.

William Blum est l'auteur de Killing Hope : US Military and CIA Interventions Since World War 2 ; Rogue State : A Guide to the World's Only Superpower ; West-Bloc Dissident : A Cold War Memoir ; Freeing the World to Death : Essays on the American Empire. Des extraits de ces livres peuvent être lus sur www.killinghope.org. Cet article a été initialement publié dans le Blum's Anti-Empire Report.