La gouvernance de la Chine – 1/ Le « rêve chinois »

La gouvernance de la Chine – 1/ Le « rêve chinois »

Le média collectif Anticonquista a réalisé une vidéo de discussion avec le Collectif Qiao autour du livre de Xi Jinping La gouvernance de la Chine. Voilà, en plusieurs parties, la transcription/traduction de leurs échanges, de quoi en apprendre autant sur la Chine que sur la vision du monde des militants anti-impérialistes des pays du Sud. 1ère partie : Le "rêve chinois" est le rêve du peuple.
Source : Anticonquista - 27 novembre 2020

Ramiro : Passons au premier extrait qui se situe dans le volume 2 de La gouvernance de la Chine publié en 2017 :

Depuis la fondation de la RPC en 1949, et en particulier depuis le début de la réforme d’ouverture en 1978, la Chine a accompli un parcours extraordinaire dans lequel les gens de ma génération ont été personnellement engagés. À la fin des années 60, quand j’étais adolescent, j’ai été envoyé dans un petit village nommé Liangjiahe, dans la province de Shangzi dans l’ouest de la Chine. Là, j’ai travaillé dans les champs comme paysan pendant sept ans. Comme les locaux, je vivais dans des caves creusées dans les collines et dormais sur un lit de terre. Les locaux étaient très pauvres et ils pouvaient passer des mois sans un bout de viande à se mettre sous la dent. J’ai appris à comprendre ce dont ils avaient le plus besoin. Plus tard, quand je suis devenu secrétaire de la branche du parti du village, je me suis fixé pour objectif de développer l’économie locale parce que je savais ce dont ils avaient besoin. Je voulais vraiment voir à nouveau de la viande dans leurs assiettes. Je voulais voir ça souvent mais c’était un but difficile à atteindre. Au printemps dernier, je suis revenu dans ce même village qui a maintenant des routes goudronnées, des maisons de briques avec des toits de tuiles et un accès à internet. Les anciens profitent de la pension de vieillesse de base. Les villageois sont couverts par l’assurance maladie et les enfants reçoivent une bonne éducation. Avoir de la viande à dîner n’est bien sûr plus un rêve. Cela m’a fait comprendre que le « rêve chinois » est le rêve du peuple chinois et que si l’on veut réussir, il faut qu’il soit basé sur les aspirations du peuple chinois pour une vie meilleure. Les changements dans les petits villages représentent le développement et le progrès de la société chinoise depuis 1978. En moins de quarante ans, nous avons dynamisé l’économie pour devenir la deuxième plus puissante, pourvoyant 1,3 milliards de personnes en nourriture et vêtements et leur permettant d’atteindre une petite prospérité modérée. Le peuple bénéficie de dignité et de droits d’un niveau jamais égalé auparavant. Ces changements n’ont pas seulement affecté la vie des chinois, ils ont aussi apporté des progrès remarquables dans la civilisation humaine et l’importante contribution de la Chine à la paix et au développement dans le monde. Néanmoins, nous sommes bien conscients que la Chine reste le plus grand pays en voie de développement, le PIB par personne de la Chine est seulement des 2/3 de la moyenne mondiale et 1/7 de celui des USA, la plaçant au 80ème rang mondial. Selon nos normes, il y a encore 70 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté en Chine. D’après les normes de la banque mondiale, 200 millions de chinois vivent toujours sous le seuil de pauvreté. Dans les zones rurales et urbaines 70 millions d’habitants vivent grâce aux allocations de subsistance et il y a 85 millions de personnes handicapées. Ces deux dernières années, j’ai visité beaucoup de régions pauvres en Chine et j’ai rendu personnellement visite à des familles dans le besoin. Je peux encore voir leur visage et sentir leur impatience pour une vie meilleure. Tout cela démontre bien que nous devons continuer notre difficile travail. Le développement reste la principale priorité pour la Chine contemporaine. Et la principale tâche des gouvernants de la Chine est de se concentrer sur l’amélioration des conditions de vie du peuple et d’atteindre la prospérité commune. C’est pour cela que nous avons mis en avant les deux objectifs du centenaire. Le premier est de doubler le PIB et le revenu par habitant des résidents des zones urbaines et rurales par rapport aux niveaux de 2010 et de compléter la construction d’une société modérément prospère à tous égards en 2020 avec l’approche du centenaire du CPC. Le deuxième est de faire de la Chine un pays socialiste moderne qui soit prospère, fort, démocratique, avancé culturellement et harmonieux et achever la grande régénérescence de la nation chinoise d’ici le milieu du siècle qui verra le centenaire de la PRC. Tout ce que nous faisons maintenant est destiné à réaliser ces objectifs. Nous devons commencer par accomplir le premier objectif, pour cela nous devons mener des réformes plus profondes, nous devons mettre en œuvre l’état de droit et nous devons diriger le parti avec une discipline stricte. C’est ce que nous appelons la stratégie en quatre volets.

PIB par habitant

Alors qu’est-ce que tu penses de cet extrait Dave ?

Dave : L’une des choses magnifiques avec le « rêve chinois » c’est que c’est une représentation de l’axe principal de la Chine qui est le lien entre les aspirations du peuple et le futur du pays qui est de devenir un pays socialiste moderne. Et lorsque les gens y adhèrent, ils se rendent compte qu’ils sont partie prenante de ce futur. Pour remettre dans le contexte, en 1978, le PIB par habitant en Chine était de 200$ alors qu’il est maintenant de 10 000$. Ce qui signifie qu’en quarante ans les chinois moyens ont vu leur richesse multiplier par 50. Donc on voit bien qu’en tant que nation socialiste ils sont capables de créer plus de richesse, plus vite que ce qu’on aurait pu attendre d’un pays socialiste. Ils sont capables de mettre des choses en place, les capitalistes ne sont pas ceux qui prennent les décisions dans la nation.

Par rapport à ce que tu disais tout à l’heure à propos du potentiel désaccord des gens qui ne connaissent le CPC qu’en surface et des chinois qui disent qu’ils sont en désaccord avec le CPC, moi ce que j’en retire c’est que les gens veulent prioriser la lutte de classes alors que là dans le « rêve chinois » Xi explique clairement que la tâche principale c’est le développement économique.

Comparaison du PIB par Purchasing Power Parity entre les USA (en bleu) et la Chine (en rouge)

En fait, je dirais que la raison pour laquelle la Chine a développé le socialisme avec des caractéristiques chinoises est essentiellement due à l’expérience de la Révolution Culturelle.

Pendant la Révolution Culturelle, ils ont justement priorisé la lutte de classes. Au cours de cette période, ils ont appris par l’expérience, ils ont recherché la preuve par l’exemple et ils n’ont pas vraiment vu les avantages énormes de la prospérité. On disait tout à l’heure qu’en 2012 il y avait encore 100 millions de pauvres et comme je le disais en 1978, le PIB par habitant était de 200$ ce qui était moins que la plupart des pays africains à ce moment-là, donc la Chine était très pauvre. C’était encore une nation très arriérée en terme de moyens de production. Et à ce moment-là, ils ont appris par la pratique que prioriser la lutte de classes n’amenait pas forcément le « progrès » dans le sens du socialisme avec des caractéristiques chinoises [éliminer la pauvreté], qui est différent de celui du socialisme pur où il signifie « la libération et le développement des moyens de production » ce que la Chine est seulement en train de réaliser maintenant. Et au moment du processus de réforme de l’ouverture, ils ont reconnu que la lutte de classes continuait mais que dans une nation socialiste la meilleure manière de la gérer c’était de réformer. Cela signifiait débloquer, libérer les barrières sociales, les relations de production qui maintiennent des moyens de production rétrogrades, dans le but d’obtenir avec le temps un socialisme riche, où tout le monde s’enrichit, où les gens peuvent avoir la prospérité nécessaire pour profiter pleinement de la vie. Le « rêve chinois » c’est une déclaration qui parle de ça.

De nos jours, ils disent qu’ils n’en sont qu’à la première étape du socialisme. Ce qui veut dire qu’ils considéraient que la principale contradiction en Chine, quand cela a été écrit, se situait entre les besoins matériels et culturels toujours croissants de la population et le retard de la production sociale, spécialement dans les années 70 et 80.

Mais ils sont ensuite entrés dans une nouvelle ère et cette contradiction principale a évolué parce que la Chine est devenue une société modérément prospère. Il y a à peine quelques jours ils ont annoncé qu’ils sont parvenus à éliminer la pauvreté absolue en Chine, ce qui est une très grande réussite.

Pauvreté en Chine

Ramiro : Wahou ça c’est fort ! Et malgré tout, il y a toujours des gens pour dire : « la Chine ne fait rien du tout« , « la Chine n’est pas vraiment socialiste » « elle ne fait pas ci, elle ne fait pas ça« . Alors que c’est beau à voir pour des gens comme nous qui viennent de pays du Sud où des gens meurent de faim. J’ai pu moi-même voir des enfants devant mes propres yeux chercher de la nourriture dans des poubelles et avoir de gros ventres à cause d’infections de l’estomac. Alors voir que la Chine est capable de dire « nous nourrissons tout le monde« , « nous sortons tout notre peuple de la pauvreté« , je trouve cela magnifique. C’est aussi quelque chose qu’à l’Ouest, au coeur de l’empire, beaucoup de gens ne comprennent pas.

Si on regarde à droite, par exemple. On parlait du « rêve chinois » comme Xi en parle dans l’extrait, ce sont des choses basiques : que tout le monde ait de la viande à sa table, un toit pour dormir, etc. On peut comparer ce « rêve chinois » avec le « rêve américain » qui est lui plutôt du genre : « j’aurai 10 cabriolets », « des gratte-ciel porteront mon nom« , le style de vision à la Donald Trump qu’on peut avoir des États-Unis : « je serai millionnaire et toutes ces entreprises m’appartiendront« . Cela n’est pas basé sur la subsistance et la survie, c’est basé sur la richesse, la cupidité et le « fais ce que tu veux« .

Maintenant si on regarde à gauche. À l’Ouest, on a tendance à se focaliser sur les éléments destructeurs du socialisme. Parce que je pense qu’en ce qui concerne le socialisme, nous devons comprendre qu’il y a deux énergies. L’énergie constructive du socialisme qui consiste en constructions d’écoles, d’hôpitaux. Ça c’est le vrai socialisme, un socialisme de classe basé sur le fait de sortir les gens de la pauvreté. Et il y a l’énergie destructrice quand on renverse l’ordre ancien, les anciennes institutions du colonialisme, de l’esclavage. Nous assumons les deux. Je pense que dans les mouvements révolutionnaires il y a des éléments des deux. Mais j’ai l’impression qu’à l’Ouest, dans les pays impérialistes du Premier Monde, et plus spécialement au sein de la gauche, il y a une focalisation sur la partie destructrice et que donc tant qu’on ne parle pas de gens armés de mitraillettes, de gens qui brûlent tout, ils s’en foutent. Mais je pense que cela vient du fait qu’ils n’ont jamais connu la pauvreté extrême que beaucoup de chinois ont côtoyée, comme tu le disais.

Voilà pourquoi je trouve cela magnifique que la Chine ait réussi à faire ça et je pense que le « rêve chinois » est quelque chose qu’on pourrait avoir dans n’importe quel pays : le rêve latino-américian, le rêve africain qui seraient basés sur le fait de servir son peuple et de le faire prospérer.

Si vous n’avez pas lu l’introduction : La gouvernance de la Chine – Introduction